Vers une dérive démocratique!
Vers une dérive démocratique? (rédigé en 2007)
Les élections provinciales sont maintenant passées et celles fédérales s'en viennent. Mais que représentent-elles vraiment? Sans vouloir adopter un discours alarmant, il apparaît évident que la démocratie dérive, tranquillement, mais sûrement. Pas tellement en surface, parce que nous nous sommes dotés d'institutions et de mécanismes qui en assurent l'expression, mais plutôt en profondeur, de façon davantage insidieuse.
La confiance.
Les raisons pour expliquer cette dérive réfèrent toutes à la base même de la démocratie, c'est-à-dire la confiance. Cette dernière n'existe plus ou si peu. Comment la démocratie peut-elle s'exercer sainement quand ceux qui nous dirigent (les politiciens) n'ont la confiance que de 1 % de la population? Nos choix politiques se font trop souvent par défaut, par dépit ou par devoir plutôt que par réel choix, seulement 23 % de la population déclarant aller voter parce qu'ils appuient un des partis politiques en liste alors que 62 % le font essentiellement par devoir citoyen.
Davantage inquiétant de constater le pouvoir et l'influence sur la société qu'on leur attribut (20 %) par rapport à la confiance qu'on leur témoigne. En appliquant bêtement les chiffres, l'influence des politiciens serait dans un ratio de 20 fois supérieur à la confiance qu'on leur accorde. Troublant n'est ce pas?
Les médias
Mais la démocratie ne se résume pas qu`à la politique. Loin de là. Elle doit également exprimer le lien entre les différentes formes de pouvoir et ceux pour lesquels il s'exerce, c'est-à-dire la population. Et là encore, une confiance minimale doit exister pour supporter ce lien, sans quoi, la démocratie n'a de démocratique que le nom.
Les journalistes, qui se sont toujours défendus d'occuper une trop grande place, sont devenus, à n'en pas douter, le premier pouvoir, 44 % de la population identifiant les médias comme groupe avec le plus d'impact, d'influence et de pouvoir dans la société. C'est deux fois plus que celui des gouvernements. Cela signifie également qu'il est maintenant impossible de faire progresser une idée, un concept ou un programme sans leur aval.
Pourtant, seulement 21 % des personnes leur font confiance ce qui leur donne un pouvoir de 2,1 fois supérieures à la confiance qu'on leur témoigne. Et si les journalistes aiment à dire qu'ils représentent les remparts de la démocratie, comment se fait-il que seulement 35 % des gens considèrent qu'ils donnent l'heure juste «la plupart du temps » alors que 51 % pensent qu'ils nous disent « que ce qui fait bien leur affaire » et même 13 % qu'ils « nous manipulent »? Et nous n'aborderons pas ici le phénomène de la convergence, pas plus que celui des intérêts de leurs propriétaires.
Les grands gagnants de la dernière élection provinciale, ce sont eux. Avec un gouvernement minoritaire qui fragilise davantage les politiciens et maintenant trois partis qui jouent aux coudes à coudes, les journalistes ont encore plus de poids, sachant que leurs positions et leurs façons de traiter les événements peuvent avoir un impact direct sur l'avenir politique immédiat du Québec. Jamais n'auront-ils été autant le premier pouvoir.
Syndicats et grandes entreprises.
La démocratie dérive aussi parce qu'aucun leaders n'obtient suffisamment de confiance pour assumer le pouvoir qu'ils exercent et réclament. Avec seulement 4 % des gens qui font confiance aux dirigeants syndicaux, comment peut-on croire que leurs causes et leurs revendications sont justes et raisonnables? Ce très faible niveau de confiance signifie que la méfiance à leur égard ne se limite pas qu'aux personnes non syndiquées, mais qu'elle est bien présente au sein des membres qu'ils représentent.
À ce titre, les dirigeants d'entreprises, qui n'ont jamais eu une cote très élevée, obtiennent un niveau de confiance trois fois supérieur (15 %) à celui des dirigeants syndicaux, ces mêmes dirigeants qui essaient pourtant de leur soutirer de meilleures conditions pour leurs membres. La comparaison entre les uns et les autres en console peut-être un certain nombre, mais elle a de quoi désoler davantage, car avec un niveau de confiance de 15 %, les dirigeants d'entreprises n'ont pas vraiment de quoi pavoiser.
Revoir la dynamique démocratique.
Mais le constat le plus triste et désolant, c'est de réaliser que le seul vrai pouvoir est en voie de disparition. La population, celle que la démocratie doit servir et pour laquelle elle existe, n'est considérée comme groupe avec le plus d'influence, d'impact et de pouvoir dans la société que par 8% des gens. La population a abdiqué face à son rôle et son pouvoir. Certes, elle peut encore, comme elle l'a fait le 26 mars dernier, exprimer politiquement son mécontentement, mais encore faut-il comprendre comment ce mécontentement a été entretenu et cultivé.
Triste et révélateur également de constater que 41 % de la population ne fait confiance à aucun des groupes représentant une forme ou l'autre du pouvoir démocratique. Dans ce contexte, peut-on penser mobiliser les gens derrière une cause autre que politique et partisane et si oui, cette mobilisation arrivera-t-elle à faire fléchir les pouvoirs concernés? La notion même de mobilisation est en train de s'évanouir.
Doit-on encore se surprendre de l'égoïsme qui caractérise la période actuelle. Alors que la population décroche démocratiquement, elle s'accroche individuellement au seul pouvoir qui en vaille vraiment la peine, le leur. Pendant ce temps, l'écart se creuse, les groupes en pouvoir en obtenant toujours davantage sans pour autant cultiver le niveau de confiance équivalent.
Dans ce contexte, Bien difficile de parler de projet de société, peu importe la définition qu'on lui donne. Le temps sera bientôt venu de revoir et repenser les liens et la dynamique entre la population et les différentes formes de pouvoir, car il n'est pas sain, pour une société, que les personnes qui nous dirigent et nous influencent soient parmi celles en qui la population a le moins confiance.
2007, pas vraiment différent de l'époque de Jules César. « Du pain et des Jeux » qu'il disait. Et bien soit! Mais des jeux dangereux.